برای دفاع از کلاهبرداران و دزدان (روسیه)
http://reseauinternational.net/defense-escrocs-voleurs/
Pour la défense des escrocs et des voleurs

« Des escrocs et des voleurs » : la formule n’a plus de secret
pour personne – elle désigne, dans la bouche de la classe
intellectuelle, les représentants du pouvoir en Russie.
L’essayiste Dmitri
Sokolov-Mitritch a
décidé de prendre, dans son billet d’humeur, la défense de ces
derniers.
Oublions une minute, si vous le voulez, qu’on ne peut qualifier
une personne d’escroc ou de voleur que sur décision de justice.
Supposons, si vous le voulez, que tous les responsables
politiques de la Fédération de Russie jusques aux plus hauts,
tous les directeurs de corporations étatiques, tous les
généraux, amiraux, prêtres et autres créatures de Dieu qu’il
nous faudrait haïr pour qu’enfin, nous rejoignons le troupeau
des pays civilisés – supposons qu’ils sont tous, effectivement,
des escrocs et des voleurs. Vous vous l’imaginez ? Eh bien voilà
– je m’apprête maintenant, tout de même, à prendre leur défense
face aux non-escrocs et aux non-voleurs.
J’apprécie beaucoup la façon dont ces gens escroquent et volent.
Je ne sais pas pourquoi, mais leurs activités illégales ont
conduit à ce que la vie – un petit peu, certes, mais quand même
– change en mieux. À la fin des années 90, les escrocs et les
voleurs ont, par exemple, construit l’autoroute périphérique de
Moscou à cinq voies. Par la suite, on a découvert que, lors de
la construction, ils n’avaient pas utilisé suffisamment de
gravier ni de sable. Mais la route est construite quand même,
nous roulons dessus depuis 15 ans, et je préfère ne pas imaginer
ce qui serait advenu de Moscou sans elle.
Aujourd’hui, d’autres escrocs et voleurs modernisent les
bifurcations de cette autoroute périphérique. Et on a vu surgir
de nouveaux gredins qui se sont lancés dans la construction de
l’autoroute périphérique centrale : ce nouvel anneau autour de
la capitale. Probablement que, cette fois aussi, ceux-là
voleront aussi quelque chose. Mais la route sera là quand même,
on y roulera deux fois plus vite, et nous ne nous inquièterons
pas le moins de monde de savoir qu’elle aurait pu être
construite pour 20 % moins cher.
Voici
une autre histoire. Les escrocs et les voleurs de Kalouga,
au lieu de répartir honnêtement les malingres rentrées fédérales
dans l’efflanqué budget local, se sont embarqués dans des
crédits, ont commis un tas d’erreurs, laissé passer une masse de
dépenses injustifiées et outrepassé une multitude de
prérogatives pour, au final, faire un petit miracle économique.
Ils ont, en pratique, mené une deuxième industrialisation de la
région, en y entraînant des investisseurs du monde entier –
Volkswagen, Volvo, Samsung. Les non-escrocs et non-voleurs
locaux assurent désormais que les proches des escrocs et des
voleurs se sont faufilés dans les rangs des maîtres d’œuvre et
fournisseurs de ces corporations, et se frottent allègrement les
mains aujourd’hui. Je ne sais pas, peut-être bien qu’ils se les
frottent. Mais les usines sont debout, les salaires ont augmenté
de plusieurs fois, les gens se précipitent à Kalouga même depuis
Moscou et, s’il y a effectivement eu certains coûts de corruption,
la croissance des revenus du budget local les a depuis longtemps
– et très largement – couverts.
Encore, ces maudits escrocs et voleurs ont construit et organisé
les Jeux
olympiques de Sotchi, l’Universiade de Kazan,
le sommet
de l’APEC à
Vladivostok. Ils ont reconstruit Grozny et
– à grand-peine mais quand même – lancé une voie de
communication rapide entre Moscou et Saint-Pétersbourg puis
entre Moscou et Nijni
Novgorod.
Les escrocs et les voleurs ont relancé la construction
d’hélicoptères et même – tant bien que mal – modelé le Sukhoi
Superjet. Pendant que les non-escrocs et les non-voleurs ont
seriné, deux décennies durant, que la magistrale Baïkal-Amour
avait été construite pour rien, les maudits corrompus et
pillards de la richesse du peuple ont
chargé cette voie jusqu’aux dents, et s’apprêtent déjà à en
poser le deuxième tronçon. Et encore, les escrocs et les voleurs
ont modernisé presque toute l’exploitation pétrolière du pays et
transformé les campements ouvriers du Nord en villes
florissantes. Allez faire un tour à Khanty-Mansiysk et Sourgout,
très respectables non-escrocs et non-voleurs, allez faire un
tour à Nijnevartovsk et Nefteïougansk. Vous ne pourrez pas
croire qu’il y a encore 30 ans, lors des ripailles collectives
locales, le plus populaire des toasts de ces dames sonnait
ainsi : « Pour qu’un jour, nous puissions marcher sur cette
terre en talons aiguilles. »
La clique des filous et des voleurs de la compagnie de gestion
énergétique d’Extrême-Orient vient juste de lancer
l’exploitation d’une ligne de transmission électrique de 1 800
km de long, pour un coût de 36 milliards de roubles. Ils l’ont
construite en quatre ans. Essayez de voler 36 milliards de
roubles – mais en étirant à travers la taïga, le marais et le
pergélisol, en un tel délai, une ligne magistrale de
transmission électrique de première classe de fiabilité. Essayez
de voler 2,9 milliards de roubles – mais en construisant à Kazan
un parc IT, en élevant la région au rang des leaders russes des
technologies de l’information et en récupérant cet argent au
bout de quatre ans et demi seulement. Allez, s’il vous plaît –
essayez de voler au moins quelque chose pour, au moins, faire
quelque chose d’utile !
Vous pourrez m’attribuer la deuxième place au concours des
débiles – mais je considère réellement que l’union des escrocs,
des voleurs et de l’intelligentsia technique éternellement
sous-estimée chez nous constitue cette force qui est encore
capable de tirer la Russie hors du trou dans lequel nous nous
sommes retrouvés il y a vingt ans. Oui, ces gens agissent
lentement, de travers, ils cherchent en permanence à sortir des
limites du champ du droit, mais ils agissent tout
de même – et en cela, ils me sont sympathiques.
Et je serais affreusement content d’adhérer à l’union des
non-escrocs, non-voleurs et de l’intelligentsia des sciences
humaines éternellement surestimée chez nous – mais à une
condition. S’ils pouvaient eux aussi présenter, au minimum, de
quelconques résultats de leur labeur. Au minimum, quelque chose
d’un peu comparable à une ligne de transmission électrique de 1
800 km de long, ou au moins avec le poème Moskva-Petouchki.
Mais voilà – je regarde leurs mains propres et je n’y vois rien
d’autre que la ligne de vie et le mont de Vénus. Les gars, mais
qu’est-ce que vous avez donc fait pendant les 23 dernières
années ?
Demain, à propos, je pars en mission à Saint-Pétersbourg. Une ville construite
par des escrocs et des voleurs.
http://www.lecourrierderussie.com/2014/09/defense-escrocs-voleurs/

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