http://www.voltairenet.org/article14367.html
کابوس آمریکایی
اسکول اند بونز، نخبگان امپراتو ری
CAUCHEMAR AMÉRICAIN
Skull and Bones, l’élite de l’Empire
Au sein de la très élitiste et puritaine université de Yale sont
co-optés chaque année quinze fils de très bonne famille. Ils
forment une société secrète aux rituels morbides : les Skull and
Bones (Crâne et os). Tout au long de leur vie, ils se
soutiennent et s’entraident face aux velléités démocratiques
d’une plèbe qu’ils abhorrent. Les deux candidats à la dernière
élection présidentielle, George W. Bush et John Kerry, loin
d’être des adversaires, s’y côtoyaient en secret depuis
trente-six ans. Alexandra Robbins a consacré aux Booners une
enquête qui fait référence. Son livre est maintenant disponible
en français.
RÉSEAU VOLTAIRE |
PARIS (FRANCE) |
13 JANVIER 2006


L’association des Skull & Bones nourrit une importante
littérature conspirationniste, qui rend responsable ses membres
du scandale du Watergate, de l’invasion de la Baie des Cochons
ou encore de l’assassinat de John F. Kennedy. Par ses connexions
avec le milieu des affaires, notamment le secteur bancaire, ces
anciens potaches de l’université de Yale contrôleraient la
finance mondiale, voire l’avenir de la planète. Les Skull &
Bones auraient d’ailleurs noyauté le Council on Foreign
Relations, la Commission Trilatérale, la CIA, etc.
Il n’est pas question de discuter dans Voltaire,
une publication laïque, de l’ésotérisme pratiqué au sein de
cette organisation au cours des rites d’initiation, ou des
cérémonies annuelles, mais d’analyser sa fonction sociale et son
éventuel rôle politique. Les Skull & Bones illustrent surtout
comment, aux États-Unis, s’est perfectionné un système de
reproduction des élites par le biais d’une sélection qui,
contrairement au mythe duself-made man, ne doit rien au
hasard ou aux qualités individuelles. En effet, comme le
souligne Anthony Sutton, les membres les plus actifs de
l’organisation viennent d’un « noyau
d’environ 20 à 30 familles », attachées à la défense de leur
héritage et de leur lignée. Il existe ainsi de nombreux mariages
entre des représentants des familles membres des Skull & Bones,
bien que seuls les étudiants mâles aient pu, jusqu’à une date
récente, adhérer à l’organisation.
Yale, une université puritaine et élitiste
Les Skull & Bones sont nés sur le campus de l’université de
Yale. Un choix qui, selon la remarquable enquête de la
journaliste de l’Atlantic Monthly, Alexandra Robbins, ne
doit rien au hasard [1].
Au début du XVIIIe siècle, l’ensemble des universités
états-uniennes, qu’il s’agisse d’Harvard, Dartmouth, Williams,
Bowdoin, Middlebury ou encore Amherst, ont été fondées par des
Congrégationalistes. Mais ils subissent alors la concurrence des
Presbytériens, ce qui incite le président d’Harvard, Increase
Mather, à agir. En 1701, il quitte son poste et créée une
nouvelle université, « afin
que l’Intérêt de la Religion soit préservé, et que la Vérité
soit transmise aux générations futures ». Avec l’aide de dix
pasteurs, dont neuf viennent d’Harvard, il parvient ainsi à
fonder le Collegiate School of Connecticut. En 1711, Isaac
Newton, Richard Steel et Elihu Yale sont approchés pour
transmettre des livres de leur collection personnelle à la jeune
institution. Les contacts avec Yale, devenu extrêmement riche
grâce à ses activités au sein de la Compagnie des Indes
orientales et en tant que gouverneur de la colonie de Madras,
sont particulièrement fructueux. Non content de fournir des
livres, il finance également largement l’université, qui lui
rend hommage en prenant son nom, à partir de 1720, Yale
University.
Les liens avec le congrégationnalisme garantissent le
puritanisme de l’enseignement et du mode de fonctionnement de
Yale. Les étudiants et professeurs doivent prononcer une
profession de foi à leur entrée dans l’établissement, et peuvent
être renvoyés si leur sincérité est sérieusement mise en doute.
À ce puritanisme s’ajoute un élitisme forcené : les étudiants
sont classés, dès leur arrivée à Yale, non pas en fonction de
leurs capacités, mais de la position sociale de leurs parents.
En tête de classe, les fils ou petit-fils de gouverneurs, de
vice-gouverneurs. Puis viennent les membres des familles de
juges de la Cour suprême. Un plus bas dans le classement, on
trouve les fils de pasteurs et d’anciens élèves. En queue de
peloton, les fils de fermiers, de marchands et d’artisans. Ce
classement décide de la place attribuée à chaque élève dans les
salles de classe, à la chapelle et à la cantine. Le plus
étonnant, note Alexandra Robbins, n’est pas que ce classement
d’entrée dépende du statut social de la famille de l’élève,
chose courante dans beaucoup d’universités au XVIIIe siècle,
mais plutôt qu’il n’évolue pas avec la scolarité. Ainsi Yale
devient l’exemple idéal-typique d’une institution reproduisant
les élites et leur hiérarchie interne. Le déclassement est en
général occasionné par un manquement disciplinaire, et
sanctionne le fait que l’élève a ainsi entaché l’honneur de sa
famille.
Il faut ajouter à ce mode de fonctionnement peu banal la licence
explicitement donnée aux élèves plus âgés de bizuter, voire de
brimer et d’humilier les étudiants des classes inférieures. Le
règlement prévoit une série de mesures visant à assurer le
respect de la hiérarchie la plus arbitraire, fondée uniquement
sur l’âge. Lyman Bagg a raconté dans un ouvrage, Quatre
ans à Yale, paru anonymement en 1871, comment il analysait
les mécanismes mis en place par l’institution. Ces pratiques
autorisées reflètent selon lui le « pouvoir
énorme des "coutumes" de l’école dans la création d’une folie
temporaire qui fait des hommes faibles des êtres cruels et des
hommes bons des êtres sans pitié ».
Cette propension à l’élitisme, à la hiérarchie brutale et au
puritanisme incite les élèves, à la fin du XVIIIe siècle, à
monter plusieurs sociétés parallèles à l’université. Il s’agit
au départ d’associations littéraires, telles que Linonia et
Brothers in Unity. L’ensemble des élèves est appelé à adhérer à
l’une ou l’autre des organisations. Ce qui n’est pas assez
élitiste pour ceux qui souhaitent une stricte reproduction de la
nouvelle « aristocratie » états-unienne. En 1780 la
branche Alpha de l’organisation Phi Betta Kappa est fondée à
Yale. Plusieurs autres sociétés fleurissent à l’époque : la
Beethoven Society, l’Hexahedron Club... Petit à petit, les
salons littéraires perdent de leur importance, remplacés par des
sociétés secrètes, plus élitistes et plus fermées. Au milieu du
XIXe siècle, on en dénombre trois principales : les Skull and
Bones (Crâne et os), les Scroll and Key (Parchemin et clé) et
Wolf’s Head (Tête de loup).
Parallèlement, le corps enseignant de Yale décide de suivre le
mouvement. Six ans après la création de Skull & Bones, six
membres de l’élite enseignante de l’université se réunissent au
sein du « Club », bientôt appelé le « Old Man’s Club ». Parmi
ses six membres fondateurs, on trouve les professeurs Josiah
Willard Gibbs et Theodore Dwight Woolsey. Bientôt,
l’organisation comptera dans ses rangs William Howard Taft, le
futur chief
justice du
Connecticut Simeon E. Baldwin, l’universitaire Thomas Bergin, le
neurochirurgien Harvey Cushing, et le fondateur des Skull &
Bones, William H. Russell. Seuls Thomas Bergin et Harvey Cushing
ne deviendront pas, par ailleurs membre des Skull & Bones.
La guerre de l’opium
L’université de Yale était un terreau particulièrement fertile
pour qu’y prospère une société secrète aussi élitiste et
influente que les Skull & Bones. Mais le succès de cette
organisation secrète doit aussi beaucoup à la personnalité de
son fondateur, William H. Russell. Celui-ci appartient à la
grande famille Russell, dont l’un des membres, le révérend
Noadah Russell, membre éminent de l’Église congrétionnaliste, a
participé à la création de Yale. La famille Russell s’est
également impliquée dans la grande guerre de l’opium qui oppose
le Royaume-Uni à la Chine dans la première moitié du XIXe
siècle.
À la fin du XVIIIe siècle, l’opium cultivé au Bengale avec la
bénédiction de l’Angleterre est soumis à un monopole
d’exploitation confié à la Compagnie des Indes orientales, une
société qui dépend directement de la Couronne et à laquelle
Elihu Yale a participé par le passé. La guerre de l’opium, qui
commence vers 1815, vise à introduire de force cette drogue sur
l’énorme marché chinois. De 320 tonnes annuelles en 1792, la
contrebande d’opium atteint 480 tonnes en 1817, puis 3200 tonnes
en 1837. La Chine demande alors à la reine Victoria de faire
cesser le trafic. La souveraine fait savoir que les revenus
ainsi engrangés par le Royaume-Uni sont trop importants pour
qu’elle décide d’y renoncer. La tension monte entre Pékin et
Londres : en février 1839, un trafiquant chinois est exécuté
devant les représentations cantonaises des commerçants
britanniques. En juin 1839, la Couronne accepte de détruire
d’importantes cargaisons d’opium. De nombreux Anglais quittent
alors Canton et Macao pour relancer le trafic d’un peu plus
loin, sous la protection officielle de la marine britannique.
Dans ces conditions, l’incident est inévitable : le 4 septembre,
c’est la première bataille navale de la guerre de l’opium, qui
aboutit à la destruction de nombreux navires chinois. Ces
affrontements révèlent « la
faiblesse des jonques de guerre chinoise et la sanglante
détermination des protestants anglais pour que soient victorieux
les principes du libéralisme fondé sur le trafic de l’opium » [2].
Samuel Russell, cousin de William Russell, est un important
protagoniste de la guerre de l’opium. De nationalité
états-unienne, il est le fondateur de la Russell & Company en
1813, qui va concurrencer, dans les années 1820, la domination
britannique sur le trafic de drogue en direction de la Chine.
L’un des membres éminents de la société était Warren Delano, Jr,
le grand-père de Franklin Delano Roosevelt.
Du club Eulogie aux Skull and Bones
C’est dans ce contexte que William Russell crée les Skull &
Bones, en 1832. Il est difficile d’établir avec précision dans
quelles circonstances. Il s’agirait, au départ, d’une réaction à
l’exclusion d’un membre des Phi Beta Kappa, Eleazar Kingsbury
Forster. Indigné par le procédé, et souhaitant redonner sa
vitalité à Yale, William Russell aurait condamné Phi Betta Kapa,
pris Forster sous son aile et fondé, avec treize autres
étudiants de Yale (dont Alfonso Taft [3]),
une société encore plus secrète et encore plus forte,
originellement intitulée le Club Eulogie, du nom de la déesse
grecque de l’éloquence. Sous l’influence d’un récent voyage en
Allemagne, Russell importe bon nombre de références germanques
dans le rituel. En 1833, les jeunes membres adoptent la tête de
mort et les ossements comme emblème. À la même époque, le
chiffre 322 devient le « chiffre clé » de l’organisation. C’est
en effet en 322 avant JC qu’est mort l’orateur grec Démosthène.
Selon la « tradition Skull and Bones », la déesse Eulogie
aurait alors rejoint le paradis, avant de redescendre en 1832 et
de rejoindre la société secrète.
En 1856, les Skull and Bones sont officiellement incorporés au
sein du Russell Trust, propriété de William H. Russell, grâce à
Daniel Coit Gilman (Bones 1852), président fondateur de
l’Université John Hopkins. Le 13 mars de la même année,
l’organisation déménage son quartier général au sein d’un
bâtiment impressionnant sur le campus de Yale, pompeusement
baptisé « la Tombe ». L’endroit est rapidement submergé
de reliques guerrières et morbides : on y trouve, d’après les
témoignages de membres recueillis par Alexandra Robbins, une
accumulation de drapeaux, de tentures noires, d’armes
recueillies sur les champs de bataille. Pour ne pas oublier
qu’il s’agit d’une confrérie d’étudiants, une série de balles de
baseball provenant des rencontres mythiques remportées par Yale
est exposée dans une pièce. Le logo de la tête de mort est
apposée quasiment sur tous les endroits vierges, tandis que des
ossements de carcasses animales sont accrochées à divers murs.
Quelques squelettes et ossements humains sont également exposés.
La plupart des tableaux présents dans l’enceinte représentent la
Mort rencontrant tel ou tel personnage célèbre. Une atmosphère
proche de l’univers de la famille Adams selon Marina Moscovici,
conservateur d’art du Connecticut qui a travaillé à la
restauration d’une quinzaine de tableaux en 1999.
Une polémique a éclaté au début des années 1980 autour du crâne
de Géronimo, que les Skull & Bones prétendaient détenir. Ils le
montrèrent même à un chef de tribu apache d’Arizona, Ned
Anderson. Alors qu’on leur en demandait la restitution, les
membres de l’organisation présentèrent un crâne différent de
celui montré précédemment, et dont l’analyse révéla qu’il
s’agissait de celui d’un enfant de dix ans, et non de celui du
chef indien. L’authenticité de la relique, qui a depuis regagné
« la Tombe », reste donc discutable.

Quartier général des Skull & Bones, situé sur le campus de
l’université de Yale et baptisé « la Tombe ».
Le fonctionnement de l’organisation est aujourd’hui mieux connu.
Quinze membres sont recrutés chaque année, ce qui permet
d’estimer à environ 800 le nombre de membres vivants de
l’organisation à n’importe quelle date donnée. Encadrés par des
membres plus anciens, les quinze nouveaux impétrants se
réunissent deux fois par semaine pendant un an, pour discuter à
la fois de leur vie, de leurs études ou de leurs projets
professionnels. Des débats sur des questions politiques et
sociales ont également lieu. Une fois par an, la société
organise une retraite à Deer Iland, une vaste île située dans le
fleuve Saint-Laurent, près de New York, où a été construit un
club cossu à l’anglaise. Il s’agit bien de Deer Iland et non de
Deer Island, conformément à la volonté de George D. Miller,
membre des Skull & Bones et généreux donateur de la résidence [4].
Le rituel d’initiation a fait l’objet des interprétations les
plus folles de la part des détracteurs de l’organisation.
Pourtant, comme le rituel maçonnique, c’est essentiellement le
secret qui l’entoure qui en est l’élément le plus déterminant.
Et s’il est possible que les cérémonies se déroulant au sein de
« la Tombe » aient eu, un temps, des conotations
paganistes, voire satanistes, il faut également rappeler que le
bizutage des nouveaux élèves de Yale était, par le passé,
particulièrement cruel. Cependant, il est improbable qu�����on
demande aujourd’hui aux étudiants sélectionnés pour entrer dans
l’organisation de se prêter à des jeux sexuels morbides devant
l’ensemble des autres initiés.
Le réseau
Le plus fascinant n’est pas ce qui se passe au sein de
l’organisation, mais plutôt la cohérence de sa liste de membres,
qui révèle le talent des membres de Skull and Bones pour
constituer les élites de demain. Ainsi, tout président des
États-Unis passé par Yale a été membre des Skull & Bones : il
s’agit de William Howard Taft, de George H.W. Bush et de George
W. Bush. De même on ne compte plus les personnalités membres de
l’organisation qui ont occupé, par la suite, d’importantes
fonctions dans le monde politique, diplomatique, médiatique, ou
même du renseignement.
L’organisation dispose d’importantes connexions dans le milieu
diplomatique, et notamment au sein du Council
on Foreign Relations. Ainsi, Henry Stimson,
secrétaire à la Guerre de Franklin Delano Roosevelt,
l’ambassadeur des États-Unis en Union soviétique, Averell
Harriman, ou J. Richardson Dilworth, gestionnaire des intérêts
de la famille Rockefeller, étaient membres des Skull and Bones [5].
Des membres de Skull & Bones ont également joué un certain rôle
dans l’univers des médias. Henry Luce et Briton Haden, tous deux
membres de l’organisation depuis 1920, auraient notamment eu
l’idée de créer le journal Time lors
d’une réunion à « la Tombe ». Averell Harriman, de son
côté, a fondé le journal Today qui
fusionna en 1937 avec une autre revue pour devenir Newsweek.
Les connexions au sein de la CIA sont particulièrement
impressionnantes : William F. Buckey, membre ultra-conservateur
de l’Agence et propagandiste réputé, a été membre de
l’association, tout comme son frère, James Buckley,
sous-secrétaire d’État à la Sécurité, aux sciences et aux
technologies, dans le gouvernement de Ronald Reagan, un poste où
il supervisait l’octroi de l’aide militaire états-unienne à
destination des régimes de droite. Hugh Cunningham (Bones 1934)
a lui aussi accompli une longue carrière dans les services
états-uniens, de 1947 à 1973. C’est également le cas de William
Bundy, Bonesman de la promotion 1939, et de Dino Pionzio (Bones
1950), chef de station de la CIA à Santiago en 1970, où il
s’employa à déstabiliser le régime de Salvador Allende.
Le fait que l’organisation serve de moyen de reproduction à
l’élite économique et politique du pays lui a assuré une
bienveillance inhabituelle des autorités. Ainsi, en 1943, un
acte législatif spécial adopté par l’État du Connecticut a
exempté les associés du Russell Trust Association, qui gère,
entre autres, les avoirs de la société secrète, de remplir un
rapport d’activité comme n’importe quelle autre société. Dans la
deuxième moitié du XXe siècle, ses avoirs ont été gérés par John
B. Madden Jr, membre de Brown Brothers Harriman, une société née
de la fusion, en 1933, de Brown Bros & Company et de W.A.
Harriman & Company. Madden travaillait alors sous les ordres de
Prescott Bush, père du futur président George H.W. Bush et
grand-père de l’actuel président des États-Unis. Tous ces
personnages sont naturellement membres des Skull & Bones.
Autre source de fonds : les Rockefeller. Percy Rockefeller fut
membre de l’Ordre, et lia l’organisation aux propriétés de la
Standard Oil. Autre grande famille rattachée aux Skull & Bones :
les Morgan. J.P. Morgan ne fut certes jamais membre, mais Harold
Stanley, membre de l’équipe dirigeante du Morgan’s Guaranty
Trust, appartint à l’organisation depuis 1908. W. Averell
Harriman, de la promotion 1913, a également été membre du
conseil d’administration, tout comme H.P. Whitney et son père,
W.C. Whitney. C’est également de manière indirecte que
l’organisation a pu profiter des fonds de la famille Ford,
apparemment contre l’avis de celle-ci. McGeorge Bundy, membre
des Skull & Bones, fut en effet président de la Fondation Ford
de 1966 à 1979, après avoir servi de conseiller pour la sécurité
nationale sous John F. Kennedy et Lyndon Johnson.
Présidentielle 2004 : le face-à-face Skull and Bones

Les Skull & Bones n’ont pas véritablement de discours
idéologique. Encore qu’il ne soit pas anodin de révérer un
financier de la guerre de l’opium et d’utiliser comme objet
rituel le crâne présumé du dernier chef d’un peuple que l’on
vient d’exterminer. Contrairement à ce que la littérature
conspirationniste a pu évoquer, il ne s’agit pas d’un club de
néo-nazis, d’ultra-conservateurs, ni même de faucons. Néanmoins,
en tant que représentant de l’élite future (ce qui nécessite
déjà d’appartenir à la classe sociale disposant des capitaux
socio-culturels suffisants pour réussir dans les différents
champs de pouvoir), les membres des Skull & Bones partagent une
même vision du monde et des rapports sociaux. Tous sont des
capitalistes partisans d’un pseudo-libéralisme et attachés aux
valeurs de Liberté prétendument incarnées par les États-Unis.
Bien que récemment gagnées par les sirènes du « politiquement
correct », en admettant progressivement des représentants
des minorités ethniques et sexuelles, puis des femmes en 1991 -
à la consternation, entre autres, de l’ancien président George
H.W. Bush - les élites réunies au sein des Skull & Bones n’en
demeurent pas moins l’incarnation quasi-parfaite de la pensée
unique de la classe dirigeante états-unienne.
Le fait que les deux principaux candidats à la présidence des
États-Unis en 2004, George W. Bush et John Kerry, soient membres
de l’organisation, ne peut être interprété comme la
manifestation d’une élection arrangée à l’avance entre deux
personnalités de connivence. En revanche, on peut légitimement
s’inquiéter de la manière dont s’établit la sélection au sein du
champ politique états-unien. Car si les deux hommes peuvent
s’affronter durement, il est indubitable qu’ils appartiennent
l’un et l’autre à un milieu social étroit et homogène et que, à
ce titre, ils défendent, malgré leurs divergences, des intérêts
proches. D’une certaine manière, pour paraphraser un politicien
français, l’élection présidentielle de 2004 ce sera « Skull
and Bones ou Bones and Skull ». C’est d’ailleurs pour cette
raison que l’Ordre focalise sur lui autant d’attention : il
incarne la quintessence du milieu social le plus favorisé des
États-Unis, et dont les vues sont loin de représenter l’idéal
démocratique auquel aspire le reste de la population.
Individuellement, de nombreux membres de l’organisation ont
trempé dans la plupart des « coups tordus » des
États-Unis des cinquante dernières années, de l’invasion de la
Baie des Cochons à l’élaboration de la doctrine nucléaire, en
passant par le renversement de Salvador Allende. Et ils n’ont pu
le faire qu’en dehors des institutions démocratiques, dans le
secret de leur connivence et sur la base d’une fraternité
ancienne. Pourtant, aucune décision de ce type n’a jamais été
prise au sein de l’association des Skull & Bones elle-même. Ce
n’est pas une structure hiérarchisée, apte à prendre de telles
décisions et à les faire appliquer. Quoi qu’il en soit, l’Ordre
secret reste la façade la plus immédiatement visible de l’« ennemi
de classe » que représente l’« aristocratie impériale »
des États-Unis.
|