آسیب پذیری روسیه از "تحریم ها"
La vulnérabilité de la Russie aux « sanctions »
par James
Petras
La restauration de la puissance russe par Vladimir Poutine est
compromise par la guerre économique menée contre la Fédération
par les États-Unis et l’Union européenne. Cette agression
occidentale, fait remarquer le professeur James Petras, va
obliger la Russie soit à éliminer les oligarques sur lesquels
elle s’est appuyée, soit à mourir.
RÉSEAU VOLTAIRE INTERNATIONAL | NEW YORK (ÉTATS-UNIS) | 29
NOVEMBRE 2014
Quatre oligarques proches de Vladimir Poutine : Guennadi
Timtchenko, Iouri Kovaltchouk, Igor Setchine et Arkady Rotenberg
Au cours du dernier quart de siècle, les gangsters-oligarques
agissant par gangs armés interposés ont transféré illégalement
ou saisi violemment des biens publics valant plusieurs milliards
de milliards de dollars dans tous les secteurs de l’économie
russe, en particulier pendant la transition vers le capitalisme.
De 1990 à 1999, plus de six millions de citoyens russes sont
décédés prématurément à la suite de l’effondrement
catastrophique de l’économie. L’espérance de vie des hommes, qui
était de 67 ans durant l’ère soviétique, régresse à 55 ans quand
Eltsine est au pouvoir. Le PNB de la Russie chute de 60 %, une
première dans l’histoire pour un pays qui n’est pas en guerre.
Après la prise de pouvoir par la violence et le bombardement du
parlement russe, le régime Eltsine entreprend de privilégier la
privatisation de l’économie, en liquidant les secteurs de
l’énergie, des ressources naturelles, des banques, du transport
et des communications au dixième ou moins de leur valeur réelle
à des partenaires et à des entreprises étrangères bien
pistonnés. Des casseurs armés, organisés par des oligarques au
pouvoir croissant, complètent le programme de privatisation en
agressant, en assassinant et en menaçant leurs rivaux. Des
centaines de milliers de retraités âgés sont évincés de leurs
maisons et appartements par des spéculateurs fonciers violents
qui confisquent sauvagement leurs propriétés.
Des conseillers financiers formés dans des universités
états-uniennes et européennes avisent les oligarques rivaux et
les ministres du gouvernement au sujet des techniques de marché
les plus efficaces pour piller l’économie, tout en prélevant des
commissions et des frais qui leur rapportent gros. Des fortunes
attendent ceux qui sont les mieux pistonnés. Pendant ce temps,
le niveau de vie s’affaisse, appauvrissant les deux tiers des
ménages russes. Le nombre de suicides quadruple et les décès
attribuables à l’alcool, à la toxicomanie, au sida et aux
maladies vénériennes se répandent. La syphilis et la tuberculose
atteignent des proportions épidémiques et des maladies
totalement éradiquées durant l’ère soviétique réapparaissent
avec la fermeture des cliniques et des hôpitaux.
Dominants et dominés
Sans surprise, les médias « occidentaux » [1]
respectables louangent le pillage de la Russie, le qualifiant de
transition vers des élections libres et l’économie de marché.
Ils publient des articles élogieux qui décrivent le pouvoir
politique et la domination des gangsters-oligarques comme le
reflet d’une démocratie libérale montante. L’État russe passe
ainsi de superpuissance mondiale à un régime abject fondé sur le
clientélisme infiltré par les services de Renseignement
�� occidentaux ��, incapable de gouverner et de faire respecter
ses traités et ses accords avec les puissances « occidentales ».
Les USA et l’UE ont tôt fait de réduire l’influence russe en
Europe de l’Est et mettent rapidement la main sur les industries
qui appartenaient à l’État, les médias de masse et les
institutions financières. Les fonctionnaires communistes,
gauchistes et même nationalistes sont écartés et remplacés par
des politiciens dociles et soumis favorables au libre marché et
à l’Otan.
Les USA et l’UE violent tous les accords signés par Gorbatchev
et l’« Occident ». Les pays de l’Europe de l’Est deviennent
membres de l’Otan, l’Allemagne de l’Ouest annexe l’Allemagne de
l’Est et les bases militaires s’étendent jusqu’à la frontière
russe. On créé des groupes de réflexion favorables à l’Otan se
nourrissant d’information émanant des services du renseignement
et de propagande antirusse. Des centaines d’ONG, financées par
les USA, s’activent à l’intérieur de la Russie comme instruments
de propagande et centres d’organisation pour les politiciens
néolibéraux subversifs. Dans les ex-républiques soviétiques du
Caucase et dans l’extrême Est, l’Occident fomente des mouvements
séparatistes ou sectaires et des soulèvements armés, notamment
en Tchétchénie. Les USA soutiennent des dictateurs dans le
Caucase et des fantoches néolibéraux corrompus en Géorgie.
L’État russe est colonisé et son dirigeant présumé, Boris
Eltsine, souvent en état de stupeur éthylique, est soutenu et
manipulé pour qu’il rende des décisions arbitraires qui
contribuent encore plus à la désintégration de l’État et de la
société.
Le peuple russe se remémore et considère la décennie Eltsine
comme un désastre. Les USA, l’Union européenne, les oligarques
russes et leurs partisans s’en souviennent comme un âge d’or… du
pillage. Pour l’immense majorité des Russes, c’était une période
noire : la science et la culture russes subissaient des ravages,
des scientifiques, des artistes et des ingénieurs de renom
étaient privés de revenus et réduits au désespoir, à la fuite et
à la pauvreté. Pour les USA, l’UE et les oligarques, c’était
l’époque des prises faciles marquée par le pillage économique,
culturel et intellectuel, l’acquisition de fortunes dépassant le
milliard de dollars, l’impunité politique, la criminalité
débridée et la soumission aux diktats occidentaux. Les accords
signés avec l’État russe étaient violés avant même que l’encre
ne soit sèche. C’était l’ère du monde unipolaire centré sur les
USA, ce nouvel ordre mondial où Washington pouvait influencer et
envahir ses adversaires nationalistes et les alliés de la Russie
en toute impunité.
L’âge d’or de la domination mondiale incontestée est devenu la
norme en « Occident » pour juger la Russie post-Eltsine. La
moindre politique intérieure et étrangère adoptée dans les
années Poutine de 2000 à 2014 est jugée par Washington en
fonction de sa conformité ou non à la période de pillage et de
manipulation avérée qu’était la décennie Eltsine.
L’ère Poutine : reconstruction de l’État et de l’économie,
bellicisme des USA et de l’Union européenne
Le président Poutine doit d’abord et avant tout mettre fin à la
désintégration de la Russie. Avec le temps, l’État et son
économie récupèrent un semblant d’ordre et de légalité.
L’économie commence à se rétablir et à croître. Les emplois, les
salaires et les niveaux de vie sont de nouveau à la hausse et
les taux de mortalité s’améliorent. On normalise le commerce,
les investissements et les transactions financières avec
l’« Occident » et intente des poursuites contre les auteurs du
pillage sans vergogne. L’« Occident » a une position ambiguë à
l’égard du redressement de la Russie. Bien des gens d’affaires
et multinationales légitimes se réjouissent du retour de la loi
et de l’ordre et de la fin du gangstérisme. Par contre, les
responsables politiques à Washington et Bruxelles, de même que
les vautours capitalistes de Wall Street et de la City à
Londres, condamnent vite ce qu’ils qualifient de montée de
l’autoritarisme et d’étatisme de la part de Poutine, lorsque les
autorités russes commencent à faire enquête pour évasion
fiscale, blanchiment d’argent à grande échelle, corruption de
fonctionnaires et même meurtre visant les oligarques.
L’ascension au pouvoir de Poutine coïncide avec un boom des
matières premières à l’échelle mondiale. La hausse spectaculaire
des prix du pétrole, du gaz naturel et des métaux russes
(2003-2013) permet à l’économie du pays de connaître une
croissance rapide. L’État russe en profite pour resserrer sa
réglementation sur l’économie et reconstituer ses forces
militaires. La capacité de Poutine à mettre fin aux formes de
pillage les plus flagrantes de l’économie russe et à rétablir la
souveraineté russe le rend populaire auprès de l’électorat, qui
le réélit à maintes reprises avec une forte majorité.
Mettons lui des bâtons dans les roues…
À mesure que la Russie prend ses distances avec les politiques
de quasi-satellite, le personnel et les pratiques des années
Eltsine, les USA et l’UE adoptent une stratégie politique
hostile à plusieurs volets visant à déstabiliser Poutine et à
restituer le pouvoir à des clones néolibéraux dociles comme
Eltsine. Des ONG russes financées par des fondations
états-uniennes et servant de couverture à la CIA organisent des
manifestations monstres ayant pour cibles les représentants
élus. Des partis politiques ultralibéraux soutenus par
l’« Occident » essaient en vain de se faire élire à l’échelle
nationale et locale. Le centre Carnegie [2],
une machine à propagande notoire financée par les USA, produit
en série des tracts virulents qui prétendent décrire les
politiques autoritaires diaboliques de Poutine, sa persécution
des oligarques dissidents et le retour à une économie planifiée
de type soviétique.
Tout en cherchant à restaurer l’âge d’or du pillage par
l’entremise de ses alliés politiques à l’interne, l’« Occident »
poursuit une politique étrangère agressive visant à éliminer les
alliés de la Russie et ses partenaires commerciaux,
particulièrement dans le Golfe, le Levant et en Afrique du Nord.
Les USA envahissent l’Irak, assassinent Saddam Hussein et les
dirigeants du Parti Baas et mettent en place un régime fantoche
sectaire. Moscou perd ainsi un important allié nationaliste et
séculaire dans la région. Les USA imposent ensuite des sanctions
contre l’Iran, un partenaire commercial majeur avec qui la
Russie fait des affaires florissantes. Les USA et l’UE
soutiennent aussi une insurrection armée à grande échelle visant
le renversement du président Bachar al-Assad en Syrie, un autre
allié de la Russie, qui priverait les forces navales russes d’un
port ami en Méditerranée. Les USA et l’UE bombardent également
la Libye, un partenaire pétrolier et commercial majeur de la
Russie (et de la Chine), en espérant y installer un régime fondé
sur le clientélisme favorable à l’« Occident ».
Harcelant la Russie dans le Caucase et en mer Noire, le régime
géorgien, avec l’appui des USA, envahit en 2008 un protectorat
russe, l’Ossétie du Sud, tuant de très nombreux soldats de la
paix russes et des centaines de civils, avant d’être repoussé
par une vigoureuse contre-attaque russe.
… puis frappons un grand coup
En 2014, l’offensive occidentale visant à isoler la Russie, à
l’encercler et éventuellement à compromettre toute velléité
d’indépendance tourne à plein régime. Les USA financent un coup
d’État civil et militaire permettant d’évincer le gouvernement
élu du président Viktor Ianoukovytch, qui s’était opposé à
l’annexion à l’Union européenne et à l’affiliation à l’Otan.
Washington impose un régime fantoche éminemment hostile à la
Russie et aux Ukrainiens d’origine russe du Sud-Est et de la
Crimée. L’opposition de la Russie au coup d’État et son soutien
aux fédéralistes pro-démocratie dans le Sud-Est et en Crimée
servent de prétextes à l’imposition de « sanctions » [3]
par l’« Occident » pour mieux affaiblir les secteurs pétroliers,
bancaires et manufacturiers de la Russie et paralyser son
économie.
Les stratèges impérialistes à Washington et Bruxelles rompent
tous les accords précédents avec l’administration Poutine et
tentent de monter les oligarques du côté de Poutine contre le
président russe en menaçant de s’en prendre à leurs actifs en
« Occident » (notamment les comptes bancaires ouverts et les
biens acquis avec de l’argent blanchi). Les sociétés pétrolières
de l’État russe, déjà engagées dans des coentreprises avec
Chevron, Exxon et Total, perdent du jour au lendemain leur accès
aux marchés de capitaux occidentaux.
L’effet cumulatif souhaité de cette offensive s’étendant sur une
décennie, dont la vague actuelle de lourdes sanctions en est le
point culminant, c’est de provoquer une récession en Russie,
d’affaiblir sa monnaie (le rouble a perdu 23 % de sa valeur en
2014), de faire monter le coût des importations et de faire mal
aux consommateurs locaux. Les industries russes, qui dépendent
des pièces et du matériel importés de l’étranger, ainsi que les
sociétés pétrolières, qui dépendent de l’importation de la
technologie nécessaire à l’exploration des réserves de
l’Arctique, sont des victimes toutes désignées de
l’intransigeance de Poutine.
Malgré le succès à court terme de la guerre économique que les
USA et l’EU livrent à la Russie, le gouvernement Poutine demeure
extrêmement populaire auprès de l’électorat russe, avec des
cotes d’approbation dépassant 80 %. L’opposition
pro-« occidentale » contre Poutine est reléguée du même coup aux
oubliettes. Il n’en demeure pas moins que la politique de
« sanctions » et l’encerclement politique et militaire musclé de
la Russie par l’Otan font ressortir les vulnérabilités de
Moscou.
À son arrivée au pouvoir,
Poutine fait le ménage dans l’oligarchie politique…
À la suite du pillage de l’économie de la Russie par l’Occident
et les oligarques russes et de la dégradation sauvage de la
société russe, le président Poutine adopte une stratégie
complexe.
Il fait d’abord une distinction entre les oligarques politiques
et les oligarques économiques. Une partie de ces derniers sont
prêts à coopérer avec le gouvernement à reconstruire l’économie
et sont disposés à restreindre leurs activités conformément aux
lignes directrices généreuses qu’a établies le président
Poutine. Ils conservent un énorme pouvoir économique et leurs
profits, mais renoncent à leur pouvoir politique. En échange,
Poutine autorise ces oligarques économiques à garder leurs
empires commerciaux constitués de façon douteuse. Par contre,
les oligarques à la recherche d’un pouvoir politique qui ont
financé des politiciens pendant l’ère Eltsine sont visés.
Certains sont dépouillés de leurs fortunes, d’autres sont
poursuivis pour des crimes allant du blanchiment d’argent, de
l’évasion fiscale, de l’escroquerie et du transfert illégal de
fonds à l’étranger jusqu’au financement de l’assassinat de leurs
rivaux.
… et renforce la coopération économique et politique de la
Russie avec l’« Occident »
Le deuxième volet de la stratégie politique mise en avant au
début de l’ère Poutine consiste à renforcer la coopération de la
Russie avec les pays « occidentaux » et leurs économies, mais
sur la base d’échanges commerciaux réciproques, et non plus sur
la base d’une usurpation des ressources russes par
l’« Occident », comme c’était le cas sous Eltsine. Poutine est
favorable à une plus grande intégration politique et militaire
avec les USA et l’Union européenne, afin de maintenir la
sécurité des frontières russes et les sphères d’influence. À
cette fin, le président Poutine ouvre des bases militaires et
des voies de ravitaillement à l’intention des forces militaires
des USA et de l’Union européenne participant à l’invasion puis à
l’occupation de l’Afghanistan. Il ne s’oppose pas non plus aux
sanctions imposées par les USA et l’Union européenne contre
l’Iran. Poutine donne son assentiment à l’invasion puis à
l’occupation de l’Irak, malgré les relations économiques que
Moscou et Bagdad entretiennent de longue date. La Russie fait
partie des puissances chargées de superviser les pourparlers de
paix entre la Palestine et Israël et suit Washington dans son
soutien indéfectible à Israël. Poutine donne même son feu vert
au bombardement de la Libye par l’Otan, en croyant naïvement que
l’intervention humanitaire de l’Otan serait une opération
limitée.
La collusion politique et diplomatique de Poutine favorisant
l’expansion militaire de Washington et de l’Otan favorise le
commerce, les investissements et les transactions financières
avec l’Occident. Des sociétés russes souscrivent des emprunts
sur les marchés financiers occidentaux. Des investisseurs
étrangers investissent en masse sur les marchés boursiers russes
et des multinationales forment des coentreprises. Les grandes
sociétés pétrolières et gazières sont florissantes. L’économie
russe et les niveaux de vie reviennent à ce qu’ils étaient
durant l’ère soviétique. Les dépenses de consommation explosent.
Le taux de chômage passe sous la barre des 10 %. Les salaires et
les arrérages sont payés. Les centres de recherche, les
universités, les écoles et les établissements culturels
reprennent leur lustre.
… puis Poutine nationalise à nouveau le secteur pétrolier et
gazier…
Le troisième volet de la stratégie de Poutine, c’est la reprise
par l’État (la renationalisation) du secteur pétrolier et
gazier. Au moyen d’achats et de rachats et à la suite de
vérifications financières puis de confiscations des biens de
gangsters-oligarques, la reprise en main par l’État russe de ce
secteur d’une importance stratégique est un succès. Les sociétés
d’État recréées forment des coentreprises avec les géants du
pétrole de l’Occident et dominent les exportations russes en
pleine période de pointe en demande d’énergie. La hausse des
prix du pétrole aidant, pendant la décennie suivant la prise du
pouvoir par Poutine, la Russie connaît un emballement des
importations dû à la demande des consommateurs, allant des
produits agricoles aux bijoux et voitures de luxe. Poutine
consolide son appui électoral et pousse davantage l’intégration
de la Russie aux marchés « occidentaux ».
En parallèle, l’« Occident » soutient les oligarques corrompus
dans leur campagne anti-Poutine…
La stratégie d’expansion et de croissance de Poutine est tournée
exclusivement vers l’« Occident » (USA et Union européenne) et
non vers l’Orient (Asie et Chine) ou vers le Sud (Amérique
latine).
Derrière la victoire tactique initiale obtenue par Poutine en
misant sur l’« Occident », on voit poindre les vulnérabilités
stratégiques de la Russie. Les premiers signes sont évidents
avec le soutien de l’« Occident » aux oligarques corrompus dans
leur campagne anti-Poutine et la diabolisation dans les médias
du système judiciaire russe ayant poursuivi et condamné des
gangsters-oligarques comme Mikhaïl Khodorkovski. Autre signe, le
soutien financier et politique de l’« Occident » aux candidats
néolibéraux de l’ère Eltsine s’opposant aux candidats du parti
Russie unie. Il devient manifeste que les efforts de Poutine en
vue de rétablir la souveraineté russe se heurtent aux plans de
l’« Occident » visant à maintenir la Russie comme État vassal.
L’« Occident » voit toujours sous un œil favorable l’âge d’or du
pillage et de la domination sans borne de la période Eltsine
lorsqu’il la compare à la Russie indépendante et dynamique de
l’ère Poutine, en liant constamment le président russe à la
défunte Union soviétique et au KGB.
… et favorise les soulèvements aux frontières de la Russie
En 2008, les USA encouragent leur client, le président
Saakachvili de la Géorgie, à envahir le protectorat russe qu’est
l’Ossétie du Sud. C’est le premier signe majeur que
l’accommodement de Poutine avec l’« Occident » est
contre-productif. Les frontières territoriales de la Russie, ses
alliés et ses sphères d’influence deviennent des cibles pour les
« Occidentaux ». Les USA et l’UE condamnent la réaction
défensive de Moscou, même si la Russie retire ses troupes de la
Géorgie après avoir frappé fort.
La Géorgie n’est qu’une répétition générale militaire parmi
plusieurs coups d’État planifiés et financés par l’« Occident »,
qualifiés de révolutions de couleurs par certains,
d’interventions humanitaires de l’Otan par d’autres. Dans les
Balkans, le démantèlement de la Yougoslavie s’est fait à coup de
bombes de l’Otan. L’Ukraine connaît plusieurs soulèvements de
couleurs menant à la guerre civile sanglante en cours.
Washington et Bruxelles interprètent la série de mesures
conciliantes adoptées par Poutine comme un signe de faiblesse et
se permettent d’empiéter encore plus sur la frontière russe et
de faire tomber des régimes favorables à la Russie.
L’Ukraine constitue l’étape ultime du plan de déstabilisation
Au milieu de la deuxième décennie du nouveau siècle, les USA et
l’Union européenne prennent une décision stratégique majeure
pour fragiliser la sécurité de la Russie et affaiblir sa
souveraineté : prendre le contrôle de l’Ukraine, évincer la
Russie de sa base militaire de la mer Noire en Crimée,
transformer l’Ukraine en avant-poste de l’Otan et couper les
liens économiques de l’est de l’Ukraine avec la Russie, en
premier lieu l’écoulement sur le marché russe d’armement
militaire stratégique ukrainien. Le coup d’État est financé par
l’« Occident » et les troupes de choc sont constituées de
groupes d’extrême droite et de néonazis actifs en Ukraine. La
junte de Kiev organise une guerre de conquête visant à éliminer
les forces pro-démocratiques luttant contre le coup d’État dans
le sud-est de la région du Donbass, dont les Russes forment la
majorité ethnique, et qui maintient des liens économiques avec
la Russie, notamment dans le secteur de l’industrie lourde.
Quand Poutine se rend compte finalement du danger manifeste pour
la sécurité nationale de la Russie, son gouvernement rétorque en
annexant la Crimée après la tenue d’un référendum populaire. Il
commence aussi à donner asile et à assurer une voie de
ravitaillement aux fédéralistes anti-Kiev assiégés dans l’est de
l’Ukraine. L’« Occident » exploite les vulnérabilités dans
l’économie russe, issues du modèle de développement préconisé
par Poutine, et impose des sanctions économiques de grande
portée visant à paralyser l’économie russe.
Face aux sanctions occidentales et à la faiblesse intrinsèque
russe, Poutine doit repenser son approche stratégique
Le militarisme effréné de l’Occident et les sanctions imposées
contre la Russie mettent à nu plusieurs vulnérabilités
significatives de la stratégie économique et militaire de
Poutine.
On y trouve :
sa dépendance envers les oligarques économiques favorables à
l’« Occident » pour promouvoir sa stratégie de croissance
économique pour la Russie ;
son acceptation de la plupart des privatisations de l’ère
Eltsine ;
sa décision de miser sur le commerce avec l’« Occident », au
détriment du marché chinois ;
son adhésion à une stratégie axée sur l’exportation du pétrole
et du gaz naturel plutôt que sur l’établissement d’une économie
diversifiée ;
sa dépendance envers ses alliés oligarques requins de la
finance, qui sont chargés de reconstituer et de diriger le
secteur manufacturier de pointe, mais qui ne possèdent pas de
véritable expérience dans le développement industriel, pas de
véritables compétences financières, une quantit�� négligeable
d’expertise technologique et aucun sens du marketing ;
contrairement aux Chinois, les oligarques russes dépendent
entièrement de la technologie, des marchés et des services
financiers occidentaux. Ils n’ont pas fait grand-chose pour
développer le marché intérieur, s’autofinancer en réinvestissant
leurs profits ou augmenter la productivité en tirant avantage de
la technologie et des travaux de recherche russes.
Dans le contexte des sanctions imposées par l’Occident, les
alliés oligarques de Poutine forment son maillon le plus faible
dans la formulation d’une réponse efficace.
Ils pressent Poutine de céder aux demandes de Washington tout en
plaidant leur cause auprès des banques « occidentales » pour que
leurs biens et leurs comptes échappent aux « sanctions ». Ils
cherchent désespérément à protéger leurs actifs à Londres et New
York. Bref, ils veulent à tout prix que le président Poutine
abandonne les combattants de la liberté dans le sud-est de
l’Ukraine et trouve un terrain d’entente avec la junte à Kiev.
S’y dégage une contradiction dans la stratégie de Poutine
consistant à travailler avec les oligarques économiques, soit
ceux qui ont accepté de ne pas s’opposer à Poutine à l’intérieur
de la Russie, mais qui ont tout de même transféré leur fortune
colossale dans des banques « occidentales », investi dans des
projets immobiliers de luxe à Londres, Paris et Manhattan, et
établi des loyautés à l’extérieur de la Russie. Ils sont en fait
liés étroitement aux ennemis politiques actuels de Poutine. La
victoire tactique de Poutine, qui s’est servi des oligarques
pour mener à bien son projet de croissance en assurant la
stabilité, est devenue une faiblesse stratégique dans la défense
de la Russie contre des mesures de représailles économiques
écrasantes.
L’acceptation par Poutine des privatisations de l’ère Eltsine
lui a assuré une certaine stabilité à court terme, mais a
entraîné du même coup une fuite de capitaux massive vers
l’étranger au lieu d’être investis dans des projets garantissant
une plus grande autonomie. Aujourd’hui, la capacité du
gouvernement russe à tirer parti de son économie pour en faire
un moteur de croissance et à résister à la pression impérialiste
est bien moindre que si l’économie avait été davantage sous la
gouverne de l’État. Poutine aura bien du mal à convaincre les
propriétaires privés des grandes industries russes à faire des
sacrifices, car ils sont trop habitués à obtenir des faveurs,
des subventions et des contrats publics. Qui plus est, comme
leurs homologues des milieux financiers en Occident les pressent
de rembourser leurs dettes et refusent de leur accorder de
nouveaux crédits, les élites du secteur privé menacent de
déclarer faillite ou de réduire la production et congédier des
travailleurs.
La vague croissante d’empiétements militaires occidentaux aux
frontières russes, la série de promesses non tenues concernant
l’incorporation de l’Europe de l’Est à l’Otan et le
bombardement, puis la destruction, de la Yougoslavie dans les
années 1990 devraient avoir démontré à Poutine qu’aucune
concession unilatérale, quelle qu’elle soit, n’amènera
l’« Occident » à le considérer comme un partenaire légitime.
Washington et Bruxelles sont inébranlables dans leur stratégie
d’encerclement de la Russie et leur volonté de la maintenir dans
son rôle de client.
Au lieu de se tourner vers l’Occident et d’offrir son soutien
aux guerres des USA et de l’Otan, la Russie aurait été en bien
meilleure posture de résister aux « sanctions » et aux menaces
militaires actuelles si elle avait diversifié son économie et
ses marchés en se tournant vers l’Asie, plus particulièrement
vers la Chine, qui connaît une croissance dynamique et dont le
marché intérieur, la capacité d’investissement et le
savoir-faire technique sont en pleine expansion. On voit bien
que la politique étrangère de la Chine ne s’accompagne pas de
guerres, d’invasions d’alliés de la Russie et d’empiétement des
frontières russes. La Russie a certes accru ses liens
économiques avec la Chine en réaction aux menaces croissantes de
l’Otan, mais elle a perdu beaucoup de temps et d’occasions au
cours des 15 dernières années. Il faudra encore dix ans pour
réorienter l’économie de la Russie, dont les principales
industries sont toujours sous la coupe d’oligarques et de
cleptocrates médiocres de l’ère Eltsine.
La fermeture des marchés occidentaux a amené Poutine à se
tourner vers la Chine, d’autres pays asiatiques et l’Amérique
latine, pour trouver de nouveaux marchés et partenaires
économiques. Mais sa stratégie de croissance repose encore sur
les exportations de pétrole et de gaz naturel. De plus, la
majeure partie des chefs d’entreprise du secteur privé ne sont
pas de vrais entrepreneurs capables de mettre au point de
nouveaux produits concurrentiels, d’y substituer la technologie
et les apports russes et de détecter les marchés rentables. Les
chefs d’entreprise russes de cette génération n’ont pas bâti
leurs empires ou conglomérats à partir de rien. Ils se sont
emparés d’actifs du secteur public et ont amassé leur richesse
au moyen de contrats avec l’État et de rackets de protection.
Moscou leur demande maintenant de trouver d’autres marchés à
l’étranger, d’innover, d’être concurrentiels et de mettre fin à
leur dépendance à la machinerie allemande.
La très grande majorité des gens qui forment la soi-disant
classe des capitalistes industriels russes ne sont pas des
entrepreneurs. Il s’agit davantage de collecteurs de loyers et
d’amis bien pistonnés favorables à l’« Occident », bien souvent
des gangsters et chefs de guerre qui ont réussi tôt à
contraindre leurs rivaux à abandonner toute velléité de mettre
la main sur les trésors publics à prendre dans les années 1990.
Bien que ces oligarques aient cherché à acquérir une
respectabilité après avoir consolidé leurs empires économiques,
en embauchant des agences de relations publiques pour polir leur
image et des conseillers financiers pour les aider dans leurs
décisions d’investissement, ils n’ont jamais démontré de
capacité à rendre leurs entreprises concurrentielles. Ils sont
toujours demeurés totalement dépendants des marchés de capitaux,
de la technologie et des importations de l’« Occident », ainsi
que des subventions du gouvernement Poutine.
Ces rentiers capitalistes forment tout un contraste avec les
dynamiques entrepreneurs publics et privés chinois, qui ont
emprunté la technologie des USA, du Japon, de Taiwan et de
l’Allemagne pour l’adapter et l’améliorer, et qui fabriquent
maintenant des produits très concurrentiels. Quand les sanctions
imposées par les USA et l’UE sont entrées en vigueur,
l’industrie russe n’était pas prête à s’appuyer sur la
production locale et le président Poutine a dû conclure des
accords commerciaux et d’importation avec la Chine et d’autres
sources d’approvisionnement.
La principale lacune de la stratégie économique de Poutine a été
de miser sur l’« Occident » comme moteur de croissance pour ses
exportations de pétrole et de gaz naturel.
Résultat : la Russie est dépendante des prix élevés des matières
premières qu’elle exporte et des marchés occidentaux. C’est dans
cette optique que les USA et l’UE exploitent la vulnérabilité de
la Russie à la moindre baisse des prix mondiaux de l’énergie,
ainsi qu’à sa dépendance aux coentreprises avec l’« Occident »,
leur technologie d’extraction et leur équipement de forage.
La politique de Poutine reposait sur une vision d’intégration
économique avec l’« Occident », de pair avec une coopération et
des connexions politiques plus étroites avec les puissances de
l’Otan. Le cours des événements prouve que ce postulat était
erroné : la coopération des USA et de l’UE est tactique et
repose sur des concessions asymétriques, voire unilatérales, de
la part de la Russie, notamment en restant disposée à sacrifier
ses alliés traditionnels dans les Balkans, au Moyen-Orient, en
Afrique du Nord et, surtout, dans le Caucase. Dès que la Russie
a commencé à faire valoir ses intérêts, l’« Occident » s’est
montré hostile et antagoniste. Depuis que la Russie s’est
opposée au coup d’État mené à Kiev, l’objectif de l’« Occident »
est de renverser le gouvernement Poutine. L’offensive en cours
de l’« Occident » contre la Russie n’est pas éphémère, c’est le
début d’une confrontation économique et politique prolongée
allant en s’intensifiant.
Malgré sa vulnérabilité, la Russie n’est pas sans ressources et
est capable de résister, de défendre sa sécurité nationale et
d’assurer l’essor de son économie.
Conclusion : qu’est-ce que la Russie doit faire pour s’en
sortir ?
D’abord et avant tout, la Russie doit diversifier son économie.
Elle doit elle-même transformer ses matières premières et
investir à fond dans la substitution des importations
occidentales par la production locale. Privilégier les échanges
commerciaux avec la Chine est un pas dans la bonne direction,
mais la Russie doit éviter de reprendre la structure commerciale
du passé, qui consiste à échanger des matières premières
(pétrole et gaz naturel) contre des produits manufacturés.
Deuxièmement, la Russie doit renationaliser son secteur
bancaire, son commerce extérieur et ses industries stratégiques,
en mettant fin aux loyautés politiques et économiques douteuses
et au comportement de rentier de la classe des capitalistes
privés dysfonctionnels en place. Le gouvernement Poutine doit se
débarrasser des oligarques au profit des technocrates, passer
des rentiers aux entrepreneurs, laisser tomber les spéculateurs,
qui investissent en « Occident » l’argent gagné en Russie, en
misant plutôt sur la coparticipation des travailleurs. Autrement
dit, il doit intensifier le caractère national, public et
productif de l’économie. Prétendre que les oligarques qui
demeurent en Russie et qui proclament leur loyauté au
gouvernement Poutine sont des acteurs économiques légitimes ne
suffit pas. Ils ont généralement retiré leurs investissements en
Russie, transféré leur fortune à l’étranger et remis en cause
l’autorité légitime de l’État sous la pression des « sanctions
occidentales ».
Ce qu’il faut à la Russie, c’est une nouvelle révolution
économique et politique, qui amènera le gouvernement à
reconnaître l’« Occident » comme une menace impérialiste et à
compter sur la classe ouvrière organisée russe plutôt que sur
des oligarques douteux. Le gouvernement Poutine a tiré la Russie
de l’abîme et restauré la dignité et le respect de soi aux
Russes du pays et à l’étranger en tenant tête à l’agression
« occidentale » en Ukraine. À partir de maintenant, le président
doit aller de l’avant et démanteler au complet l’État cleptomane
de l’ère Eltsine, en misant sur la réindustrialisation, la
diversification de l’économie et la mise au point de sa propre
haute technologie.
Par-dessus tout, la Russie doit mettre en place de nouvelles
formes de démocratie populaire pour assurer la transition vers
un État souverain anti-impérialiste dont la sécurité est
assurée. Le président Poutine a l’appui de la grande majorité du
peuple russe, il dispose du corps professionnel et scientifique
qu’il faut, il a des alliés en Chine et parmi les pays du BRICS,
et il a la volonté et le pouvoir de faire ce qui s’impose.
La question demeure de savoir si Poutine va remplir sa mission
historique ou si, par crainte ou indécision, il va capituler
devant les menaces d’un « Occident » en déclin, devenu
dangereux.
James Petras
Traduit par Daniel pour Vineyardsaker
[1]
Le terme « occidental » ne désigne pas ici une réalité
géographique, mais politique. La Russie est un État
euro-asiatique, mais qui n’appartient pas à l’Alliance
atlantique. Ndlr.
[2]
« La
Fondation Carnegie pour la paix internationale », Réseau
Voltaire,
25 août 2004.
[3]
Le terme de « sanctions » est ici abusif. En droit
international, les sanctions ne peuvent être édictées que par
les Nations unies. Il s’agit donc ici d’actes d’agression
économiques, condamnés par la Charte de l’Onu et pas de
sanctions. Ndlr.
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